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ASIE

La femme semble hésiter, elle aussi. Enfin elle enlève son voile et je regarde sa figure.

Elle est belle. Pourtant un vieillissement se marque aux coins de la bouche et à la lourdeur des joues. Le masque est strictement européen. C’est une sorte de compost où passent les caractères du midi de la France et ceux des îles de le mer Égée. Elle est blonde, mais avec ce faciès sculpté des belles races méditerranéennes. Lèvres gonflées et arquées, nez droit, front haut. Elle se sent admirée et mon sentiment esthétique lui plaît, car elle s’immobilise avec une prétention assez curieuse et paraît demander :

« Comment veux-tu me voir ? »

Je la crois humanisée et lui parle en sa langue :

— Tu es très belle et je suis indigne de tant de grâces. Aie pitié de ton admirateur.

Elle répond.

— Ne sais-tu pas de quelle façon on admire ?

La question me laisse inquiet. Est-ce une allusion érotique et me faut-il sauter dessus pour la violer avec la violence d’un satyre, ou si elle réclame un homme plus humilié, une attitude servile. Je ne sais et n’ose choisir sentant qu’ici l’erreur sera irrémédiable.

Je redis tranquillement :

— Tu es trop belle ! Je ne sais plus que te dire, ni comment agir.

Elle rit :

— Je le savais. Vous êtes tous ainsi. Vous regardez les femmes comme moins que rien, entre vous, mais sitôt mis devant une seule, vous êtes comme des enfants tremblants et battus.

En moi-même, je ris :

« Toi, si je ne sentais pas la mort prête, je te ferais passer cette vanité. J’ai possédé des femmes dont tu aurais juste pu délier les chaussures… »

Mais il me faut garder cette attitude câline qui semble bonne. Elle quitte enfin une des sept ou huit tuniques qui la vêtent. Je vois la soie tomber à ses pieds