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ASIE

Je m’assieds donc sur une chaise. Si j’étais certain que personne ne me voie, je me coucherais sur le lit. Oh ! le bienheureux repos à prendre, étendu sur ces fourrures. Mais pourquoi un instinct me dit-il de rester digne, comme si j’étais dans une chambre européenne et tenu aux règles de la civilité ?

Dix minutes passent. Je n’entends rien, absolument rien nulle part. Enfin, je crois percevoir un galop de cheval ou quelque chose de tel. Cela s’arrête. Une, deux minutes coulent encore. Que cette attente est donc énervante et pénible. Je me rétracte avec une colère involontaire et puis…

À côté du lit, là où je n’aurais jamais cru qu’il y eut une porte, un panneau s’enfonce dans le noir. Je ne vois rien, mais me lève d’instinct. J’entends un froissement de mousselines. Comme jaillie de l’orifice qui se referme sans bruit derrière elle, une femme apparaît alors, engoncée dans ses soieries qui rutilent, la figure couverte par le voile et les yeux durs, farouches comme ceux d’un homme irrité.

Sur ses épaules pendent de longs cheveux couleur d’or.

Voilà celle qu’il faut contraindre à me prendre comme mari…

Et je songe, si j’échoue, au pal qui m’attend…

Nous nous regardons tous deux, la jolie femme — du moins je la juge telle — et moi. Enfin je fais un pas vers elle, puis, sans dire un mot, je lui saisis la main et pose un baiser sur les phalangettes.

Elle me dévisage encore. De plus près son regard est cruel et dur. J’en supporte mal la violence cachée.

Elle a retiré sa main et va au lit d’un pas prompt.

Je la suis, éberlué. Comme je sens difficile de toucher ces âmes lointaines… Sans doute est-ce parce que je suis timide. Mais ici ma timidité n’est que trop normale. Il faudrait être un sot pour, dans une situation comme la mienne, ne pas ressentir une hésitation devant la portée du moindre des actes.