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ASIE

pas plus. Quand je dis « me tromper », je veux exprimer cette idée que chacune des héroïnes attendant de moi quelque chose, il me fallait deviner quoi, pour lui donner, autant que faire se pouvait, satisfaction. Toutefois, saurais-je deviner ?

Je tournais tout cela en ma tête tandis qu’une vingtaine de gardiens armés et belliqueux me contemplaient sans aménité, assis sur les briques d’un si beau bleu qui faisaient la margelle du bassin carré. Quelle tragi-comédie, quel vaudeville même !

Je devinai le parti que pourrait tirer d’une situation telle un directeur de music-hall parisien. Voilà un magnifique prétexte à défilé de femmes nues, un vrai triomphe pour quelque décorateur imbu d’art persan. Cinq cents représentations à la clé, pour peu que la musique fut bonne ! Mais en ce moment il ne s’agissait en aucune façon de théâtre, non plus que de vastes toiles polychromes capables de faire dire aux critiques combien raffinait l’art boukhare. Il ne s’agissait même pas de laisser mon esprit s’amuser autour de cette menace de mort qui pesait sur moi. En tout cas, et contrairement à ce qu’on croirait, j’avais peine à prendre ma condamnation au sérieux. Et pourtant elle l’était, aucun doute ne pouvait subsister.

Personne ne connaît l’âme de la femme arabe. Elle vit loin des Européens en une ombre redoutée, qui pourtant, m’a-t-on dit, ne la maintient point en hébétude. On la juge intelligente et d’une astuce extrêmement déliée. J’avais lu en ma jeunesse et je possédais même, en mon appartement de Paris, des livres dont je regrettais justement de n’avoir su me nourrir jadis comme il eût fallu. Ainsi en est-il du fameux Jardin Parfumé[ws 1] du cheick Neftzaoui. Cet art d’aimer arabe figurait plutôt dans ma bibliothèque à cause des aquarelles dont un ami avait embelli les marges démesurées de mon édition, que pour sa qualité de document précieux sur l’amour et par conséquent sur la femme arabe. Mon tort avait été grand d’en

négliger l’utile compétence.

  1. note de Wikisource : voir La Prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs, éd. autographiée avec figure, de 1840, ou Le Parfum des prairies, (le Jardin parfumé), éd. 1935.