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ASIE

Dès la porte, ma stupeur fut grande. Je me trouvai devant deux rangs de femmes vêtues de leur sac épais qui dissimule les formes. Les faces étaient garnies uniformément du tchartchaf. Je ne vis que des yeux, mais prodigieusement attentifs. La bizarrerie du spectacle me figea. Je dévisageai toutes ces faces muettes et obscures avec une acuité involontaire. Des yeux, rien que des yeux… Corps et masques restaient impénétrables et personne ne bougeait un bras ou un pied. Pas un de ces regards non plus ne cillait. Quarante paires de pupilles s’accrochaient à mon corps, à ma figure have, à… mais sais-je ce que ces femmes regardèrent de moi.

La scène se prolongea quatre minutes au moins. Je n’ai, de ma vie, connu un tel embarras. Jamais je ne fus aussi nu, aussi défait et vaincu que devant ces formes encapuchonnées et inintelligibles que je savais être des femmes, des corps de femmes, pesant en ce moment, non pas ce que je pouvais valoir comme protecteur, comme compagnon, comme guide dans la vie ou comme maître, mais seulement comme mâle, et encore, non pas sans doute comme procréateur, quoique on ne sache jamais. Sans doute leur souci n’allait-il pas au delà de l’idée qu’il leur était possible aujourd’hui de connaître sans danger une étreinte neuve, de celles dont les femmes parlent entre elles et dont elles exposent avec cynisme les caractéristiques. Elles se demandaient s’il leur fallait tenter de savoir comment un homme de l’Occident donne le plaisir.

Enfin, au premier rang des épouses de Seïd Mhamed Rahim, une voix nette dit en français :

— Va-t-en !

Coléreux et ému à la fois, je me tournai et m’en fus.

Mes gardiens me reprirent.

On me mena dehors et je m’assis sur les briques bleues qui bordaient la piscine.

Au bout de dix minutes, le « greffier » apparut,