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ASIE

aussitôt. Si aucune ne veut l’épouser sans le mieux connaître, elles peuvent désirer passer une heure avec lui. En ce cas elles disent, l’heure terminée, si elles l’acceptent cette fois pour époux. Si aucune enfin ne le réclame après ces Épreuves, il sera empalé sur la place Katta Minar et il devra souffrir jusqu’au bout.

Le greffier, toujours digne, s’assit.

— Accepte-tu l’Épreuve ? demanda l’émir à nouveau.

— J’accepte ! dis-je avec majesté.

Alors tout le monde se leva et sortit. Mes gardes se rapprochèrent et me ligotèrent à nouveau. Je faillis me rebeller, mais j’avais vu à droite et à gauche deux énormes coutelas, prêts, si je faisais un mouvement, à m’éviter le pal.

Cette fois, il n’y avait plus à en douter. Ces gens avaient si bien été remontés par les Russes qu’ils tenaient, au seul bénéfice de leurs amis des Soviets, à débarrasser l’Asie centrale de tous les explorateurs européens. Je n’étais plus victime d’un chef de brigands turcoman, ni d’un fanatique Boukhare, ni d’un Kirghiz pillard, mais de la haute politique internationale, la seule contingence au monde pour qui la vie humaine soit moins que rien.

Cependant je réfléchissais avec âpreté. Cette fois, la menace avait un caractère qui ne me laissait plus d’espoirs. Le mariage ! Je connais trop bien la sottise de ces femmes d’Asie pour admettre qu’aucune dût être tentée par moi. Il allait falloir examiner si une évasion restait possible. J’avais de l’or caché sur moi. Peut-être un geôlier ?… Enfin je n’avais plus le droit de prendre cette péripétie à la blague. Ma vie était au bord du vaste gouffre d’où l’on ne remonte plus…

Soudain un de mes gardiens me fit signe d’avancer vers la porte en face, par laquelle le « tribunal » s’était précisément éclipsé. Je m’y dirigeai et pénétrai seul, avec les bras liés derrière le dos, dans cette seconde pièce du pavillon.