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ASIE

au milieu de cette garde que complète encore tout un régiment, car j’entrevois un tas d’hommes massés derrière les arbres et le pavillon.

Que me veulent-ils ?

Enfin on vient me prendre à six et on me mène dans la petite maisonnette. Là, le notable qui m’a déjà entretenu règne sur une sorte de chaire gothique. Trois hommes habillés très somptueusement sont assis un peu plus bas. Ce sont sans doute les assesseurs de cet extravagant tribunal qui, je le devine, va me juger.

Je suis placé devant le groupe, puis un personnage vêtu d’une robe de soie violette se lève avec un papier à la main et se met à lire.

Cette fois, j’ai compris. Ce « greffier » s’exprime en arabe. On a dû dire au personnage dominant qui se nomme l’émir Seïd Mhamed Rahim, et qui descend, paraît-il, du Prophète, que dans les pays civilisés la justice se rendait sous certaines formes spéciales qui lui donnent un grand lustre. C’est comme si on avait offert à ce brave émir un appareil cinématographique ou un side-car. Il lui fallut aussitôt faire marcher chez lui cet organisme politique comme il fonctionne en Europe. Mais, pour cela, il était indispensable aussi de posséder un accusé digne du cérémonial. Je suis sans nul doute le personnage destiné à prouver combien dignement la justice turcomane fonctionne selon les derniers us. Le menu peuple dont cet émir est maître ne saurait être digne de tant de rites magnifiques. Mais moi…

Toutefois, tuer tous les membres d’une expédition est chose dangereuse, même pour un potentat d’Asie centrale. Il doit bien le savoir, celui-là. Qu’est-ce à dire ?

Mais au bout de dix minutes d’explications fournies par l’homme qui lit, j’ai compris l’affaire :

J’ai devant moi un minuscule khan, sur lequel les Boukhares de Boukhara et les Turcomans de Merv cherchent alternativement à agir. En fait, une seule force l’a séduit : la russe.