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ASIE

blables rues concaves où des hommes pouilleux attendaient, les yeux mi-clos, je ne sais quoi, à moins que ce fut le jugement dernier. On me mena enfin jusqu’à la haute tour brune et on m’introduisit dans son ténébreux sous-sol. J’avais les jambes déliées mais non les poignets.

Je crus deviner qu’ici on exécutait, comme jadis à Boukhara, en lançant le condamné du haut de cet édifice aimable. Évidemment, lorsqu’il arrivait au sol, il ne restait au voyageur aérien qu’une chance fort petite de se trouver debout à saluer l’honorable société. Je mangeai ce soir-là encore, et bus. Puis je fus abandonné à mes réflexions. La nuit me fut beaucoup plus pénible que sur la terre en plein désert, car des animaux immondes régnaient en ce taudis et prétendaient me rendre des visites intéressées. Le plus étonnant, c’est que je ne savais pas quel était ce village inconnu, absent de mes cartes autant qu’il semblait.

Je fus renseigné le lendemain.

Il était sans doute près de midi quand six gardes, armés jusqu’aux dents, me vinrent chercher et, après m’avoir emballé dans une étoffe, me portèrent, suspendu à un bâton, je me demandais où ? Lorsque je fus sorti de ma draperie, je me trouvai dans le jardin d’un palais genre persan. De hauts murs le bordaient partout. Les arbres étaient nombreux et vigoureux. Un petit pavillon de style quasi français, à deux étages et terrasse, se trouvait à ma gauche. Il portait une garniture de briques émaillées, en dessins, ma foi, harmonieux. À ma droite, entre quatre beaux arbres qui lui servaient d’angles, un bassin carré bordé de briques d’un bleu aveuglant reflétait le ciel. Un énorme et absurde lampadaire régnait au milieu de cette piscine. Une demi-douzaine de types aux faces patibulaires rôdaient autour de moi, sinistres, avec leurs bonnets démesurés de mouton noir.

On me délivre de mes liens et je suis abandonné