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ASIE

dont le comique le disputait à l’absurdité. Il était évident que son désir fut de m’étonner par sa science politique, car il me parla successivement de tous les chefs d’État du moment. Je commençais à en avoir par-dessus la tête de cette conversation internationale dans laquelle je tenais la place déplorable de l’interlocuteur ficelé qui ne peut même pas remuer un doigt.

Je finis par le lui dire.

Il rétorqua d’une voix égale :

— Ne crains pas que cela te nuise beaucoup, ni longtemps. Tu seras exécuté dans trois jours, sitôt les cérémonies faites et les épreuves accomplies.

Je dis :

— Quelles cérémonies et quelles épreuves ?

Avec un grand air de noblesse, il affirma :

— Mon serviteur Nesser Bey t’informera.

— Qu’ai-je fait pour que tu prétendes me faire subir ce traitement. Je t’avertis que mon pays ne laissera pas accomplir cela sans te châtier.

Il me regarda fixement sans répondre.

— Je suis un grand personnage dans ma patrie, et certes toi et les tiens aurez le même sort que celui dont tu me menaces.

Il fit un signe. On vint me reprendre et on m’emporta. Je ne savais toujours pas entre quelles mains j’étais tombé.

Peu après, mes liens furent relâchés et on m’apporta à manger puis à boire.

Le lendemain, la marche fut reprise comme la veille. Je fus reporté dans mon panier, mais comme j’étais serré de façon moins meurtrière, je souffris aussi beaucoup moins. Le surlendemain, la même cérémonie recommença et, à cinq heures du soir, je fus tiré de ma prison ambulante et bucolique au milieu d’une place, dans un village abracadabrant, rempli de Turcomans piailleurs. J’eus le temps de voir une étrange tour, mince comme un fil, des murailles à contre-forts et à créneaux, d’invraisem-