Page:Les Œuvres libres, numéro 68, février 1927.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
ASIE

inconnus dont je distingue le bloc furieux, mais muet, se rue vers les miens d’un bond ardent. Je les vois courir dans la nuit claire. Ils me dépassent à droite et à gauche et je reste sur mon tumulus, revolver au poing, séparé de mon expédition.

Là-bas, j’entends une lutte féroce s’engager. Le Suédois a allumé un phare d’auto et je le vois tirer, tirer… Les fusils pètent, puis les revolvers, et c’est le corps à corps.

Des voix m’appellent et je sens que là-bas on va succomber. Je me précipite au galop vers le phare. Brusquement il est éteint et trois hommes me sautent dessus. L’un d’eux, d’un coup de lance, a percé mon vêtement. Je l’étends, mais un autre m’a pris par le dos. Je roule à terre et d’une balle tirée derrière l’épaule je mets à mal ce second assaillant. Le troisième me porte un coup de couteau, de ces puissants couteaux turcomans dont la navaja espagnole est une contrefaçon pour enfants. Je pare le coup avec mon revolver, mais l’homme m’empoigne vigoureusement et cherche à me coucher au sol.

Il a lâché son surin et je lâche mon arme. Nous nous tenons avec vigueur. Il est robuste, mais je suis un homme entraîné depuis mon enfance aux sports de force, je plie ce long corps maigre et nerveux.

Comme je me demande s’il faut étrangler ce diable qui se débat sous mes muscles, le dos au sol et les jambes frénétiques, je sens entre mes jambes son propre coutelas. Je le saisis, j’abandonne le Turcoman et, au moment où il va se relever, tout agile qu’il soit, tel le singe, je le cloue à la terre d’une enfoncée pareille à un coup de poing de boxeur.

Je me relève. L’autre râle. Je vais reprendre ma course vers le camp mais…

Des lumières s’allument avec des cris de triomphe et je vois à cette lueur les bandits qui vont et viennent en parfaite quiétude.

Mon expédition est abolie. Tous sont morts, et je vais être contraint de fuir.