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ASIE

Daria (le fameux Oxus d’Alexandre), nous rencontrâmes une sorte d’immense gonflement carré. Nous fîmes arrêt près de cet étrange tumescence régulière ; qui n’avait pas plus de quatre mètres de hauteur. Je vins y errer. Des tranchées parallèles à demi comblées parcouraient de long et large le terrain semé d’herbes rares et grises. Je descendis dans une de ces tranchées et y trouvai, par pur hasard, ce pour quoi on avait foré partout : c’était une pièce de monnaie grecque figurant Alexandre, avec, au revers, un trophée d’armes et une inscription grecque illisible mais dont quelques caractères restaient apparents.

J’étais sur un des camps ou plutôt sur une des six villes que, d’après Quinte-Curce, Alexandre le Macédonien éleva près de l’Oxus, pour maintenir les peuples sous son pouvoir.

Une étrange mélancolie naît de telles ruines, qui sont déjà au-dessous de ce qui peut porter ce nom !

Car, de ce prodigieux empire non seulement il n’est rien resté d’intact, mais on dirait que la nature, quand tout eut été détruit, suspendit son travail pour maintenir plus longtemps devant les regards une tragique figure du néant des efforts humains. Un siècle après Alexandre, ce devait être déjà tel.

Depuis lors, les siècles avaient coulé, mais sans réduire ce sol à la planité qui définitivement oublie, sans abolir même ces poteries brisées que je voyais çà et là montrer leurs débris de panses.

Au-dessus de moi le ciel, d’un gris de lavande, arrondissait lui aussi son ventre géant. Le silence n’était troublé que par les bruits du campement qu’on édifiait à l’ouest de cette cité morte, et le soleil, derrière une sorte de buée lourde et tournoyante, se couchait sinistrement sur un horizon plat et muet…

Depuis dix jours nous marchions sur la terre qui fut un des plus hauts foyers de la civilisation terrestre. Autour de nous régna un peuple intelligent et artiste