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JALOUSIE

dire bonjour, me répondit : « — Oui, mais les parents sont bien imprudents qui laissent leurs filles prendre de pareilles habitudes. Je ne permettrais certainement pas aux miennes de venir ici. Sont-elles jolies au moins ? Je ne distingue pas leurs traits. Tenez, regardez, ajouta-t-il en me montrant Andrée et Albertine qui valsaient lentement, serrées l’une contre l’autre, j’ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien, mais elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c’est surtout par les seins que les femmes l’éprouvent. Et voyez, les leurs se touchent complètement. » En effet, le contact n’avait pas cessé entre ceux d’Andrée et ceux d’Albertine. Je ne sais si elles entendirent ou devinèrent la réflexion de Cottard, mais elles se détachèrent légèrement l’une de l’autre tout en continuant à valser. Andrée dit à ce moment un mot à Albertine et celle-ci rit du même rire pénétrant et profond que j’avais entendu tout à l’heure. Mais le trouble qu’il m’apporta cette fois ne me fut plus que cruel ; Albertine avait l’air d’y montrer, de faire constater à Andrée quelque frémissement voluptueux, peut-être davantage. Il sonnait comme les premiers ou les derniers accords d’une fête inconnue. Je repartis avec Cottard en causant avec lui, distrait par lui, ne pensant que par instants à la scène que je venais de voir.

Ce n’était pas que la conversation de Cottard fût intéressante. Elle était même, en ce moment, devenue aigre, car nous venions d’apercevoir le docteur du Boulbon qui ne nous vit pas. Il était venu passer quelque temps de l’autre côté de la baie de Balbec, où on le consultait beaucoup. Or, quoique Cottard eût l’habitude de déclarer qu’il ne faisait pas de médecine en vacances, il avait espéré se faire sur cette côte une clientèle de choix, à quoi du Boulbon se trouvait mettre obs-