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antoine déchainé

hommes, avec sa canne et son chapeau de feutre. Des oiseaux se sont oubliés sur ses épaules. Il pend à sa barbiche quelques toiles d’araignées. Personne ne s’en soucie. La ville est bien autrement mal tenue ! Elle n’en est pas moins toute poésie. Flânons, rêvons, devisons. Sur la place du Forum, l’heure passe, légère, sans même que l’on y songe…

— Nom de Dieu !

Ça, c’est Antoine ! Oui, oui, Antoine que je cherchais et que je trouvé. Je ne le vois pas encore, mais il n’y a que lui au monde qui prononce avec cette vigueur : « Nom de Dieu ! » D’un juron à la portée de n’importe qui, par l’accent, par la voix qui monte, puis éclaté sur le de, il a fait sa chose à’lui, qui permet de dire : « Il est ici », et de ne pas douter… Je lève le nez. C’est parti du premier de l’hôtel, derrière ces persiennes-là. J’entre, je monte. Je ne me suis pas trompé. Je l’entends : il parle, il « gueule »… Dans un couloir plein d’ombre, mes yeux devinent une porte ouverte : l’ombre d’une chambre ; dedans, trois ombres. Il est couché ; sa massive silhouette se carre sur son lit et il parle à deux fantômes, qui ne bougent ni ne soufflent :

— Puisque je Suis crevé et que je ne peux plus mettre un pied devant l’autre, vous allez trimer à ma place… Il fait chaud ? Collez-vous tout nus, je m’en fous, je ne suis pas de la police, mais travaillez ! Parcourez-moi cette ville, où nous n’avons d’ailleurs que l’embarras du choix pour faire quelque chose d’épatant, et trouvez-moi la maison de l’Arlésienne. Il faut que ça soit très beau et crapuleux. Compris ? Bien. Ensuite, vous demanderez au maire l’autorisation de tourner dans Arles, et s’il vous la refuse, vous lui direz qu’on s’en passera. Après…

Un dés fantômes balbutie :

— C’est que…