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précaution inutile

mencer une œuvre, ou seulement goûter des plaisirs, et dont il n’a su jouir en rien. « Si je pouvais ne pas être tué, se dit-il, comme je me mettrais au travail à la minute même et aussi comme je m’amuserais. »

La vie a pris en effet, soudain à ses yeux, une valeur plus grande parce qu’il met dans la vie tout ce qu’il semble qu’elle peut donner, et non pas le peu qu’il lui fait donner habituellement. Il la voit selon son désir, non telle que son expérience lui a appris qu’il savait la rendre, c’est-à-dire si médiocre ! Elle s’est, à l’instant, remplie des labeurs, des voyages, des courses de montagnes, de toutes les belles choses qu’il se dit que la funeste issue de ce duel pourra rendre impossibles, alors qu’elles l’étaient avant qu’il fût question de duel, à cause des mauvaises habitudes qui, même sans duel, auraient continué. Il revient chez lui sans avoir été même blessé, mais il retrouve les mêmes obstacles aux plaisirs, aux excursions, aux voyages, à tout ce dont il avait craint un instant d’être à jamais dépouillé par la mort ; il suffit pour cela de la vie. Quant au travail — les circonstances exceptionnelles ayant pour effet d’exalter ce qui existait préalablement dans l’homme, chez le laborieux le labeur et chez l’oisif la paresse, — il se donne congé. Je faisais comme lui et comme j’avais toujours fait depuis ma vieille résolution de me mettre à écrire, que j’avais prise jadis, mais qui me semblait dater d’hier, parce que j’avais considéré chaque jour l’un après l’autre comme non avenu. J’en usais de même pour celui-ci, laissant passer sans rien faire ses averses et ses éclaircies et me promettant de travailler le lendemain. Mais je n’y étais plus le même ; sous un ciel sans nuages, le son doré des cloches ne contenait pas seulement, comme le miel, de la lumière, mais la sensation de la lumière (et aussi la saveur fade des