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— Non, Watson, non, ce n’est pas possible. Qui prémédite froidement un crime prémédite non moins froidement les moyens d’en esquiver les responsabilités. J’espère que nous sommes ici devant un malentendu grave.

— Que de choses à expliquer, alors !

— Nous tâcherons de les rendre explicables. Sitôt que le point de vue se déplace, telle chose qui constituait une présomption inquiétante devient un indice de vérité. Prenons le fait du revolver. Miss Dunbar dit ne pas connaître cette arme. D’après notre théorie nouvelle, miss Dunbar dit vrai. Donc, ce n’est pas elle qui l’a mise dans la garde-robe. Et si ce n’est pas elle, qui est-ce ? Quelqu’un qui voulait la perdre. Ce quelqu’un ne serait-il pas le criminel ? Vous voyez comme, tout de suite, nous nous engageons dans une voie qui peut nous ménager des surprises.

Les formalités pour la délivrance des permis nous obligèrent de passer la nuit à Winchester ; mais, dès le lendemain matin, en compagnie de M. Joyce Cummins, le jeune avocat déjà très estimé à qui était confié le soin de la défense, nous allâmes voir miss Dunbar dans sa prison. Qu’elle fût belle, je le présumais de reste après ce qu’on m’en avait dit ; mais jamais je n’oublierai l’effet qu’elle produisit sur moi. Je ne m’étonnai pas que l’omnipotent milliardaire eût trouvé chez elle une autorité qui s’imposait à lui et qui le dirigeait. À voir ce visage énergique, nettement découpé, et qui reflétait pourtant la sensibilité la plus vive, on sentait que, fût-elle capable de céder à un mouvement impétueux, miss Dunbar n’en avait pas moins une foncière noblesse d’âme et que son influence ne devait s’exercer que pour le bien. Elle était brune, la taille élancée, le port majestueux, l’air digne, mais il y avait dans ses yeux la même expression éplorée,