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pour le faible s’il y est écrasé d’avance. Je le jouais sans pitié pour moi, sans pitié pour les autres. Miss Dunbar ne partageait pas mes idées là-dessus. Elle professait, peut-être avec raison, que nul n’a le droit d’édifier une fortune supérieure à ses besoins sur les ruines de dix mille autres qu’il laisse sans moyens d’existence ; apparemment, elle voyait, par delà les dollars, quelque chose de plus durable. S’apercevant que je l’écoutais, elle crut qu’agir sur moi c’était servir l’intérêt du monde. Elle resta donc. Le drame allait s’ensuivre.

— Et sur le drame lui-même, savez-vous rien qui l’éclaire un peu ?

Le roi de l’or fut un moment sans répondre ; la tête entre les mains, il semblait perdu dans ses pensées.

— Tout accuse miss Dunbar, je ne le nie pas. D’autant que les femmes ont une vie intérieure que nul ne pénètre et peuvent accomplir des actes qui dépassent le jugement des hommes. À la première nouvelle, consterné, atterré, je crus qu’elle s’était laissé porter – comment ? je n’en savais rien, – à une extrémité pourtant incompatible avec sa nature.

Il me vint à l’idée une explication, je vous la donne pour ce qu’elle vaut, monsieur Holmes. Il y a une jalousie spirituelle, susceptible de la même frénésie que la jalousie physique. Si ma femme n’avait aucune raison, et probablement s’en rendait compte, d’espionner miss Dunbar, elle n’était pas sans savoir que la jeune Anglaise avait sur moi un empire qu’elle-même n’avait jamais eu. Empire bienfaisant, mais cela n’arrangeait pas les choses. Elle était folle de haine, et les feux du ciel brésilien lui brûlaient toujours le sang. Peut-être avait-elle fait le projet de tuer miss Dunbar ; ou peut-être, en la menaçant d’un revolver, aura-t-elle voulu lui arracher la promesse