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pour modèle M. Neil Gibson. Sa longue personne efflanquée, osseuse, suggérait l’appétit rapace. Qu’on imagine un Abraham Lincoln non pas tendu vers des fins élevées, mais vers de basses besognes. Son visage tout en arêtes semblait taillé dans le granit, tant il avait de dureté, de rigidité implacable, tant il était creusé de lignes profondes et raviné par les crises. Ses yeux gris, froids, ombragés par des sourcils hérissés, nous dévisageaient tour à tour, Holmes et moi, avec une pénétration inquiétante. Il s’inclina cérémonieusement quand Holmes lui dit mon nom ; puis, du même air que s’il était chez lui, avançant un siège près de mon ami, il s’assit à son côté, si proche qu’il le touchait presque de ses genoux aigus.

— Laissez-moi vous déclarer d’abord, monsieur Holmes, commença-t-il, que l’argent, pour moi, ne compte pas dans la circonstance actuelle. Jetez-le par les fenêtres si vous devez, par ce moyen, arriver à la vérité. Cette jeune fille est innocente, il faut qu’elle soit lavée du moindre soupçon ; cela vous regarde, prononcez un chiffre.

— Je n’ai qu’un prix, répliqua froidement Holmes. Jamais je ne m’en écarte, si ce n’est pour refuser tout salaire.

— Soit, mettons que les dollars ne vous intéressent pas ; mais votre réputation ? Tirez-moi l’affaire au clair, et je vous promets une belle réclame dans la presse d’Angleterre et d’Amérique. Les deux continents ne parleront que de vous.

— Grand merci, monsieur Gibson, mais je ne crois pas avoir besoin de réclame. Peut-être vous étonnerai-je en vous disant que je préfère travailler sous le couvert de l’anonymat, pour le seul plaisir du problème. Mais nous perdons notre temps. Venons aux faits.

— Vous les trouverez suffisamment exposés