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saisit au passage le vol d’une alouette ou d’un chardonneret.

Puis il entre au bois. Il ne se savait pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd aucune sourde rumeur, et, pour qu’il communique avec les arbres, ses nerfs se lient aux nervures des feuilles.

Bientôt, vibrant jusqu’au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le village.

Dehors, il fixe un moment, au point que son œil éclate, le soleil qui se couche et dévêt sur l’horizon ses lumineux habits, ses nuages répandus pêle-mêle.

Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et, longuement, avant de s’endormir, il se plaît à compter ses images.

Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d’elles en éveille une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s’accroît de nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour chantent le soir, à l’abri du danger, et se rappellent aux creux des sillons.


Nouvelle Lune


L’ongle de la lune repousse.

Le soleil a disparu. On se retourne : la lune est là. Elle suivait, sans rien dire, modeste et patiente imitatrice.

La lune exacte est revenue. L’homme attendait, le cœur comprimé dans les ténèbres, si heureux de la voir qu’il ne sait plus ce qu’il voulait lui dire.