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« Ne peux-tu pas lui donner l’argent et le laisser filer ? Voilà assez longtemps qu’il t’attend. »

Mon oncle répondit qu’il était très fâché d’avoir oublié. Il dit qu’il croyait au vieil adage : « Rien que du travail et point de plaisir fait de Jack un mauvais garçon ». Il me demanda où je comptais aller, et, quand je l’eus dit pour la seconde fois, il me demanda si je connaissais « l’Adieu de l’Arabe à son Coursier ». Quand je quittai la cuisine, il commençait à en réciter les premières lignes à ma tante.

Je tenais un florin serré dans ma main, comme je déambulai vers la gare de la rue Buckingham. La vue des rues remplies d’acheteurs et brillantes de lumières me rappela le but de mon voyage. Je pris une place de troisième dans un train vide. Après une intolérable attente le train démarra lentement. Il grimpait le long de maisons en ruines et par-dessus la rivière scintillante. À la gare de Westland Row une foule de gens se pressaient aux portes des compartiments ; mais les porteurs les refoulèrent, disant que ce train-là était un spécial pour la foire. Et je restai seul dans mon wagon vide. Quelques minutes après, le train s’arrêta devant une plate-forme en bois improvisée. En arrivant dans la rue, je vis au cadran lumineux d’une horloge qu’il était dix heures moins dix ; et devant mes yeux il y avait un grand bâtiment sur lequel s’étalaient les lettres magiques.

Je ne trouvai aucune entrée à six pence, aussi de peur que la foire ne fermât, je passai rapidement par un tourniquet et tendis un shilling à un homme qui avait l’air fatigué. Je me trouvai dans un grand hall, ceinturé à la moitié de sa hauteur par une galerie. Presque toutes les boutiques étaient fermées et la plus grande partie du hall dans l’obscurité. Le silence qui y régnait me paraissait semblable à celui d’une église après les offices. Je marchai timidement jusqu’au milieu du bâtiment. Quelques personnes étaient réunies autour des boutiques encore ouvertes. Devant un rideau, au-dessus duquel les mots « Café Chantant » étaient écrits en lampes de couleur, deux hommes comptaient de l’argent sur un plateau. J’écoutai le tintement de la monnaie qui tombait.