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Cette scène acheva d’ébranler ma raison, je perdis avec la folie le sentiment de mon malheur, et ce fut peut-être pour moi un secours providentiel. Je passai plusieurs mois dans une maison de santé, destinée à la guérison de ces sortes de maladies.

Pendant ce temps, je fus acquitté ; mon crime, si toutefois je l’avais commis, ne pouvant être attribué qu’à la folie. Toutefois on ne pouvait soupçonner nul autre que moi du meurtre d’Azélie, puisque personne n’avait intérêt à le commettre, et que rien n’avait été volé. À la vérité, la fenêtre de l’appartement d’Azélie avait été trouvée ouverte, mais sa femme de chambre expliquait cette circonstance par l’extrême chaleur qui régnait à cette époque. Enfin, en admettant que je fusse l’assassin, l’infidélité d’Azélie ayant été suffisamment prouvée, je n’avais fait qu’user de mon droit.

Lorsque je fus devenu plus calme, ma mère me fit revenir près d’elle. Ses soins et sa tendresse me rendirent complètement la raison. Le réveil de cette dernière fut terrible, car, en retrouvant la mémoire, je faillis redevenir fou.

Que vous dirai-je, ma chère Rose, depuis cet événement fatal, je n’ai jamais cessé de me demander si j’étais innocent ou coupable. Dans ces instants, où le doute envahit mon âme, tout devient trouble et ténèbres dans ma conscience, et je ne sais plus si je suis un objet d’horreur ou de pitié. C’est en vain que j’ai cherché un refuge dans la religion, car le prêtre qui a pu m’absoudre, n’a jamais su me dire si j’avais été innocent ou coupable. Enfin, Dieu lui-même, avec toute sa puissance, ne peut en pardonnant, faire que le passé n’ait pas existé. Accablé sous le poids de ces incertitudes, plus cruelles qu’une conviction, j’ai été vingt fois sur le point de terminer ma vie par le suicide. J’ai été arrêté par la crainte d’être suivi par le souvenir dans une autre vie et d’y rencontrer l’ombre