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« Pardonnez-moi, Mademoiselle, dit-il à Rose, mais depuis bien longtemps et dès avant la mort de ma mère, j’avais renoncé à la musique, qui me rappelle de pénibles souvenirs.

— Puisqu’il en est ainsi, dit Rose, cessons une distraction qui vous fait tant de mal.

— Non, non, reprit Donatien. » Et aussitôt il se mit à jouer avec une expression déchirante un morceau de sa composition, qui exprimait tant de souffrances, que Rose et Mme Barton en furent émues jusqu’aux larmes. C’était le plus bel éloge qu’on pût faire du talent du compositeur.

Il était aisé de s’apercevoir qu’une grande douleur pesait sur l’âme de Donatien ; mais il gardait un mystérieux silence sur le passé, dont il indiquait vaguement les souffrances.

Il était évident qu’un mutuel sentiment de tendre affection s’était emparé du cœur de Rose et de celui de Donatien. Néanmoins, tous deux, heureux du présent, semblaient à dessein éloigner toute explication et toute prévoyance de l’avenir.

Mme Barton, qui s’était aperçu bien avant eux de cette réciproque inclination, ne comprenait pas le silence de Donatien, dont la naissance, la fortune et le caractère en faisaient à ses yeux un parti convenable sous tous les rapports.

Perdus dans le sentiment du calme bonheur dont ils jouissaient, les habitants de Bois-Rocher oubliaient le monde, ses injustices et ses préjugés ; lorsqu’un malheur inattendu vint tout à coup détruire cette douce sécurité.

Mme Barton tomba dangereusement malade, et bientôt son état fut désespéré.

Il est impossible de dépeindre les angoisses et les terreurs de Rose en présence du danger de sa mère. Nuit et jour elle veillait à son chevet et sa vie semblait suspendue à celle de la malade.