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de son propre cœur. Mais à ce sentiment succéda une douleur mortelle, lorsqu’elle se dit qu’elle ne le verrait plus, qu’il ne reviendrait jamais, que c’en était fait pour la vie. Elle sentit que la présence de Jean était pour elle une condition d’existence. Chaque lieu, chaque place, chaque circonstance de sa vie journalière, renouvelait sa douleur. Absent, elle l’aimait davantage que lorsqu’il était présent. Son image la suivait dans ses songes de la nuit, et dès l’aube elle venait s’asseoir à son chevet, elle la retrouvait le soir pendant les interminables veillées qui lui semblaient si courtes lorsqu’il était là. Un découragement mortel s’empara de Marguerite, elle priait alors sans consolations, et dans ses travaux quotidiens, elle agissait instinctivement sans avoir la conscience de ses actes. Bientôt elle prit en dégoût et ses devoirs, et le monde, et ses richesses, et la considération dont elle jouissait ; elle crut avoir payé trop cher tous ces biens qui ne pouvaient lui donner le bonheur, ni lui rendre sa liberté.

Un état si violent ne pouvait durer longtemps, Marguerite tomba dangereusement malade et faillit mourir ; son mari fut admirable de tendresse et de dévouement. Grâce aux soins qu’on lui prodigua et à sa jeunesse, Marguerite revint à la vie, et au bout de quelques semaines fut en pleine convalescence.

On la transporta à son manoir des champs, dont le séjour lui fut salutaire ; car là, du moins, rien ne lui rappelait aussi vivement la présence de Jean, qui n’y était venu que rarement.

Le printemps renaissait, mais le réveil de la nature ajoutait encore à la tristesse de Marguerite ; le parfum des fleurs, le chant des oiseaux, toutes les gaîtés printanières semblaient insulter à sa douleur.

Désormais elle n’avait plus rien à attendre de l’avenir ; les saisons, les jours, les mois, devaient se succéder sans rien changer à sa destinée.