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jamais il n’avait hésité à sacrifier leur réputation à la satisfaction de ses passions. Jean avait dissipé une partie de sa fortune, on le voyait plus souvent à l’estaminet et à la danse qu’à l’étude. Cependant, depuis qu’il habitait chez le procureur Lenoir, on remarquait un grand changement dans sa conduite. Au lieu de passer une partie des nuits au jeu, il restait à faire la partie de piquet du procureur, qui l’avait pris dans une grande amitié. Pendant ce temps, Marguerite travaillait près d’eux à quelque ouvrage de couture destiné aux pauvres. Souvent le jeune clerc contemplait avec admiration le beau et doux visage de Marguerite, les boucles de ses cheveux blonds qui retombaient sur son cou d’albâtre ; le regard tendre et mélancolique de ses grands yeux bleus portait le trouble et le délire dans l’âme de Jean. Quoiqu’il aimât Marguerite avec passion, il était devenu près d’elle respectueux et timide comme un enfant. Jamais il n’avait osé lui parler de son amour, mais Marguerite l’avait deviné et ne pouvait se défendre de le partager intérieurement. De son côté, Jean se sentait instinctivement aimé. Ces deux natures si différentes semblaient destinées à se compléter l’une par l’autre. À son insu, Marguerite subissait l’influence de cette loi des contrastes qui fait que les femmes les plus raisonnables ont, de tout temps, préféré les hommes qui ne le sont pas. Ce n’était pas que Marguerite ignorât les défauts de Jean, mais elle les attribuait à l’étourderie, naturelle à son âge, plutôt qu’à l’égoïsme du cœur.

Depuis quelque temps, Marguerite et Jean s’aimaient en silence, lorsqu’arriva la fête de sainte Marguerite.

Dès le matin, le cortège commença à défiler sous les regards des nombreux curieux qui garnissaient les fenêtres, Après le clergé et la milice, on remarquait, à la tête du barreau, le procureur Lenoir ; sa démarche était noble, sa figure encore belle ; mais les rides de son front, com-