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luxe en usage à cette époque. Elle eut une belle maison dans la rue Dorée, de beaux meubles, et un antique manoir à quelque distance de la ville. Marguerite fut d’abord éblouie de l’indépendance et du rang que lui donnait dans le monde sa nouvelle position ; mais elle comprit bientôt que les jouissances de la richesse consistent à secourir ceux qui n’en ont pas.

Marguerite venait d’atteindre sa vingt-troisième année, et, quoiqu’elle allât peu dans le monde, bien des cœurs avaient soupiré pour elle. Quelqu’attachée qu’elle fût à ses devoirs, elle n’en ressentait pas moins le peu de sympathie qui existait entre le caractère de son mari et le sien. Lorsqu’elle cédait au besoin d’exprimer ses pensées et ses sentiments, elle ne trouvait dans son mari que le contraste le plus frappant entre sa nature expansive et la réserve ainsi que les préoccupations de fortune et d’intérêt qui occupaient seuls l’homme de loi. Marguerite pouvait donc apprécier la différence qui existait entre un mariage disproportionné et les liens sanctionnés par le cœur. Depuis quelque temps, Marguerite se plaisait dans la solitude, où elle pouvait se livrer sans contrainte aux plus doux rêves et à l’espoir d’un bonheur inconnu, d’un sentiment jusque là ignoré, et dont elle osait à peine s’avouer l’existence. Depuis deux mois, un beau jeune homme, nommé Jean Davenel, était venu travailler chez son mari en qualité de clerc. À peine âgé de vingt-quatre ans, il possédait tous les avantages extérieurs qui plaisent ordinairement aux femmes. Il était d’une taille moyenne, ses yeux bleus, ses cheveux noirs bouclés, son air de franchise et de bonne humeur, son sourire fin, son regard empreint de passion et d’intelligence, prêtaient un charme tout particulier à sa personne. Jean avait conservé la gaîté naïve et l’insouciance de l’adolescent ; quoiqu’il eût un bon cœur, son égoïsme l’emportait sur toutes ses heureuses qualités. Quoiqu’il eût été aimé de bien des femmes,