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en la transmission de l’immeuble dans sa famille, il ne lésine pas sur les sacrifices présents pour une plus-value à venir. C’est donc une erreur de considérer le propriétaire comme une doublure du fermier, comme un parasite du fermier ; c’était autrefois le rôle du décimateur ; ce n’est pas la fonction du propriétaire. Celui qui dépraverait ainsi sa mission ne tarderait pas à déchoir ; il suffit de la liberté des transactions pour faire passer en peu de temps la terre du propriétaire négligent au propriétaire entreprenant[1].

Il est si vrai que les deux conditions de fermier et de propriétaire ne font pas double emploi, qu’on peut se demander si la culture et la propriété ne perdraient pas à ce qu’elles fussent sur toute la surface du pays confondues dans la même personne. Les forces productrices du sol ne seraient-elles pas alors moins ménagées, et la culture ne deviendrait-elle pas plus routinière, plus pauvre, en même temps que la société perdrait une classe intermédiaire qui lui est précieuse ?

C’est une illusion de M. de Laveleye de croire qu’il suppléera à l’initiative de ces milliers de propriétaires ruraux par la lente, uniforme et pédantesque bureaucratie de l’État. Une grande incertitude, un poids énorme de formalités et de règlements pèseraient sur tous les progrès agricoles. Le cultivateur ou le possesseur du sol n’aurait plus le long espoir et les vastes pensées qui seules poussent au sacrifice du revenu actuel pour l’augmentation du revenu futur.

Pour arriver au but qu’il se propose, la nationalisation du sol, les procédés de M. de Laveleye ne sont pas moins sujets à critique que le but lui-même. Il voudrait limiter au degré de cousin germain le droit de succession ab intestat et établir sur les autres successions un impôt spécial pour le rachat de terres que l’État louerait ensuite aux associations ou aux communes ensemble de moyens pernicieux et décevants. La suppression

  1. Disons, toutefois, que les droits élevés de mutation, comme ils existent en France, empêchent cette transmission prompte de la terre des mains du propriétaire indolent ou incapable aux mains du propriétaire vigilant et habile. Aussi ces énormes droits de mutation sont-ils parmi les plus barbares et les plus funestes de notre régime fiscal.