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pération est la proportion établie entre les bénéfices reçus et les services rendus, » il rejette toutes les combinaisons artificielles des socialistes soit de l’ancienne, soit de la nouvelle école. Sans doute la justice, comme il le dit, n’exclut pas la bienfaisance, nous ajouterons qu’elle n’exclut pas la charité, ce mot qu’on a voulu ridiculement expulser de la langue française. Mais la bienfaisance et la charité, sauf quelques cas d’assistance tout à fait rudimentaire dont l’État peut se mêler, appartiennent essentiellement au domaine des particuliers et des sociétés libres.

En se bornant à procurer la justice dans la plus large acception du mot, l’État a, d’ailleurs, bien assez de réformes à opérer. Jusqu’ici l’État a été un des facteurs de l’inégalité des richesses. Ce n’est que dans ces derniers temps qu’il s’est décidé à rendre égales la situation de l’ouvrier et celle du patron. La liberté complète du contrat de salaire, on l’a prouvé dans un des chapitres de ce livre, ne date pas de vingt ans. L’État est encore un obstacle à l’exercice régulier du droit d’association.

Au point de vue de la justice vulgaire, l’État mérite bien des critiques. On le voit créer sans motif des sociétés financières privilégiées dont il nomme les directeurs ou les gouverneurs, attribuant ainsi à des incapables de riches sinécures qui n’ont été gagnées, d’ordinaire, que par la courtisanerie et l’intrigue. On le voit encore tolérer un brigandage, une piraterie effrontée, sous le couvert des sociétés anonymes et d’émissions d’actions ou d’obligations. L’État laisse de prétendus financiers avec le secours d’une presse vénale dérober audacieusement, publiquement, les épargnes des petites gens ; il ne fait aucun effort pour arrêter les spoliations dont il est le témoin, et dont beaucoup de membres des assemblées législatives, en leur qualité d’hommes privés il est vrai, sont les complices et les bénéficiers. L’État qui punit sévèrement l’escroc de bas étage et le voleur vulgaire respecte, honore, charge de décorations et de cordons les grands détrousseurs du public. La corruption des sociétés anonymes est aujourd’hui la cause principale, presque la seule, des énormes fortunes. Mais comment l’État s’occuperait-il de couper court à ces scandales, comment ne les couvrirait-il pas de l’impunité quand sur 800