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n’est pas impossible que l’ivrognerie, qui fait aujourd’hui tant de victimes directes et indirectes, ait beaucoup moins d’empire et qu’elle cesse d se dégrader une notable partie de la population qui vit du travail manuel ; ce vice n’est-il pas devenu singulièrement rare dans l’aristocratie, qui autrefois était, en grande partie, soumise à son joug ? Les mêmes causes, s’appliquant au peuple, produiront chez lui ses mêmes effets.

Debout ce qui précède il résulte que ce que l’on appelle la question sociale se résout d’elle-même, autant du moins que le est résoluble, peu à peu, par parcelles, avec la simple collaboration du temps, du capital, de l’instruction, de la liberté de la philanthropie, de la charité aussi, que beaucoup d’économistes traitent trop sévèrement et que nous ne dédaignons pas.

Cette solution qui s’accomplit, naturellement, peut-on la hâter par des arrangements artificiels et imposés par l’État ? C’est assurément une séduisante tentative que celle de faire intervenir l’État, l’agent souverainement régulateur, le premier banquier de chaque nation, si nous pouvons ainsi parler, dans les relations entre les diverses classes et de lui confier le soin de pourvoir à une moindre inégalité des conditions. Que ne peut faire l’État ? Il légifère, et l’on doit lui obéir ; il emprunte à bon marché, et il peut prêter de même. Tout ce qu’il fournit aux citoyens à grands frais a l’apparence de la gratuité. Il semble à beaucoup de gens qu’il y ait de la part de l’État soit une excessive timidité, soit une impardonnable dureté à se tenir à l’écart.

Telle n’est pas notre opinion. L’État a sans doute un rôle à jouer, des devoirs à remplir ; mais ce rôle n’est pas aussi prédominant qu’on veut bien le croire, ni ces devoirs aussi vastes. Les lois, en ce qui concerne une approximation vers une moindre inégalité des conditions, ont plutôt une puissance négative, qu’une positive action. Il y a dans les lois et dans les règlements beaucoup d’obstacles artificiels à la libre répartition des

    produit cent ou cent cinquante millions d’hectolitres de vin, dont la plus grande part n’eût pas valu plus de 5 centimes le litre ; tous les Français eussent pu en boire à discrétion, et l’ivrognerie eût été très atténuée. Le phylloxera disparaîtra ou sera vaincu, et le même résultat se manifestera un peu plus tard.