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Aujourd’hui, après l’établissement de la propriété privée, l’homme a perdu la jouissance de ces quatre droits primitifs de chasse, de pêche, de cueillette et de pâture. Qu’a-t-il reçu eu échange ? Quelle compensation lui a été donnée ? D’abord, il se trouve dans une société où il y a une énorme accumulation de travail antérieur, de capital, en grande partie amorti, il en résulte que son travail est infiniment plus productif, et lui vaut plus d’objets utiles ou agréables en même temps que plus de loisirs. S’il est faible, infirme, il lui faut recourir, comme il l’eût fait autrefois à la charité, soit publique, soit privée ; mais comme la société et chacun des membres qui la composent ont beaucoup plus de richesses, c’est-à-dire plus de provisions, il est assuré d’être plus efficacement secouru qu’autrefois. Enfant, il trouve une école gratuite pour le recevoir, pour l’abriter pendant le jour, pour l’instruire ; si les vêtements convenables lui manquent, il se rencontre une institution, la Caisse des écoles, qui lui en donne ; vieillard et infirme, il a l’hospice qui lui est ouvert ; des soins hygiéniques, la vaccine gratuite, le préservent de maladies cruelles qui autrefois enlevaient des tribus entières ; malade, l’hôpital le reçoit, le traite avec humanité et avec science. À chaque instant de sa vie, il fait un usage inconscient d’une fraction de cette énorme richesse commune qui va toujours en s’accumulant. En vérité, n’est-ce pas là une compensation suffisante de la perte de ces droits primitifs, qu’on prétend si précieux, de chasse, de pêche, de cueillette et de pâture, droits dont l’exercice est impossible pour tout le monde sans faire disparaître avec la culture les 99 centièmes des humains, droits d’ailleurs qui n’ont jamais empêché les faibles de mourir de faim, de froid et d’abandon !