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l’existence purement matérielle. Proudhon se trompe quand il prétend que l’homme est condamné à la pauvreté absolue, irrémédiable, qu’il est, pour employer son énergique expression, « constitué en pauvreté ». Si la loi du travail s’impose à l’homme, elle doit devenir plus légère avec le développement de la civilisation. Il faut juger de l’état d’une société, non seulement d’après l’intensité de la production et de la consommation par tête d’habitant, mais aussi d’après les loisirs raisonnables que cette société fait à l’ensemble des producteurs. Une société où les loisirs sont très-grands, comme chez les peuples primitifs, mais où la production est très-faible, passe à juste titre pour une société barbare. Une autre société où la production et la consommation seraient énormes mais où les loisirs manqueraient absolument à l’ouvrier serait, d’une autre façon, une société barbare. La civilisation se mesure à l’accroissement simultané et des produits et des loisirs. Ces considérations lavent l’économie politique du reproche de matérialisme, que méritent, d’ailleurs, certains économistes.

Nombre de personnes, cependant, parmi lesquelles certains philanthropes, nient que les loisirs de l’ouvrier soient une bonne chose. Plus il en a, disent-elles, plus il dépense en boisson, au jeu, plus il détériore sa situation matérielle et morale. Les faits ne manquent pas à l’appui de cette opinion, et ils semblent péremptoires. En Angleterre, la clientèle des cabarets s’est accrue d’autant plus que la journée de travail a subi plus de réductions. Chaque diminution d’une demi-heure du travail quotidien correspond à un accroissement d’une ou deux centaines de millions de francs de la consommation de gin ou d’alcool. En France, le chômage du lundi, les nombreuses absences des ouvriers parisiens, sont l’objet des critiques universelles. Ils ont fourni des sujets à la littérature naturaliste ; le type du Sublime et l’Assommoir en sont sortis.

Dans toutes ces plaintes il y a une grande part de vérité. Qu’une partie de la population ouvrière fasse de ses loisirs un fort mauvais usage, c’est un fait trop certain. Cependant, l’on généralise trop, et l’on a le tort d’attribuer ce gaspillage