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tremetteurs, regardant apparemment notre fortune à tous comme assurée et voulant par avance se payer de leur initiative, ont commencé par s’adjuger qui un, qui deux, qui dix, qui vingt, trente, cinquante et quatre-vingts millions. Ce qui veut dire qu’en attendant les noces de Gamache qu’ils vous promettent à perpétuité, ils prélèvent sur le commerce, provisoirement condamné au jeûne, depuis cent jusqu’à trois mille parts. Quant au pays qui supporte sans rien dire cette prélibation, les débâcles financières, la stagnation des affaires, l’accroissement des dettes lui montrent assez clairement ce qu’il doit penser de ces rêves de Cocagne[1]. »

Proudhon n’admet pas que l’abondance soit jamais le lot de l’humanité. Il parle avec les idées et presque le style d’un père de l’Église. « La pauvreté est une loi de notre nature, dit-il ; nous sommes constitués en pauvreté. » Seulement à cette pauvreté naturelle, irrémédiable, vient s’ajouter le paupérisme. « Le paupérisme est la pauvreté anormale, agissant en sens subversif….. » Il tient à « l’esprit de luxe et d’aristocratie, toujours vivant dans notre société soi-disant démocratique, qui rend l’échange des produits et des services frauduleux en y introduisant un élément personnel qui, au mépris de la loi des valeurs, au mépris même des droits de la force, conspire sans cesse, par son universalité, à grossir la fortune de ses élus des innombrables parcelles dérobées au salaire de tous. »

Poursuivant sa thèse, Proudhon recherche quels sont les faits par lesquels se traduit dans l’économie politique cette répartition vicieuse : il en signale sept :

1° Le développement du parasitisme, la multiplication des emplois et des industries de luxe ;

2° Les entreprises improductives, inopportunes, sans proportion avec l’épargne

3° Les excès du gouvernementalisme ;

4° L’absorption des capitales et des grandes villes ;

  1. La Guerre et la Paix, 3e édition, t. II, p. 156.