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Pluton, en punition d’un manque de parole, à rouler une grosse roche jusqu’au sommet d’une montagne d’où elle retombait aussitôt et qu’il était obligé de remonter sans trêve : le sisyphisme, c’est-à-dire les efforts impuissants et stériles, la tâche ingrate qui jamais ne diminue. Ce qu’entendent les écrivains qui ont recouru à cette image, c’est que plus on arrive à multiplier ou à perfectionner les moyens de production, plus s’accroît la durée, l’intensité du travail, si ce n’est de l’effort physique, du moins de l’attention, de l’effort moral et intellectuel.

Un statisticien fort habile, qui n’appartient, d’ailleurs, pas à cette école de contempteurs ou de critiques acharnés de la civilisation moderne, M. de Foville, a supputé, d’après les documents officiels, qu’il y a en France 40, 000 appareils à vapeur, ayant une force totale de 1, 800, 000 chevaux vapeur et formant l’équivalent de 60 millions de bras, soit de 30 millions d’ouvriers. Quelques économistes contemporains, dans une éloquence verbeuse et superficielle qui sent le radotage, s’émerveillent de ce concours apporté à la puissance productive de l’homme, et n’examinent pas de plus près ce phénomène. D’autres, au contraire, se demandent comment il se fait que toutes ces machines, que ces 30 millions de travailleurs de fer ou d’acier, n’aient pas singulièrement augmenté les loisirs de l’humanité. Quelques-uns même, poussant plus loin l’observation, recherchent si ces nouveaux travailleurs inanimés, si puissants et si souples à la fois, ne font pas aux ouvriers de chair et d’os une concurrence redoutable et ne dépriment pas leurs salaires. C’était le point de vue, on le sait, de Sismondi. M. de Foville a calculé qu’une machine à vapeur se payait 2, 000 francs par force de cheval il y a trente ans, qu’elle ne revient plus qu’à 1, 000 francs aujourd’hui, ce qui représente pour l’intérêt et l’amortissement un loyer de 1 centime par heure ; la nourriture de cet ouvrier de fer ou d’acier se compose par heure de 3 ou 4 centimes de charbon en moyenne ; ainsi c’est en tout un sou ou cinq centimes par heure que coûte en intérêt, en amortissement, en alimenta-