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Cette ingérence de l’autorité dans des contrats conclus entre des hommes libres nous paraît aujourd’hui aussi absurde et illusoire qu’elle est manifestement injuste. Elle provenait de sentiments ou de préjugés de diverses natures en premier lieu, l’esprit universel de réglementation que l’on a vu se manifester également pour les loyers, pour l’intérêt des capitaux, pour les modes de culture, pour les prix des denrées principales, le pain et la viande. Ce goût pour l’intervention législative dans les relations économiques s’est singulièrement atténué, sans avoir disparu on en retrouve de temps à autre des recrudescences. Dans le petit canton suisse de Zurich, où dominent les idées radicales, une proposition fut faite en 1878 pour donner au gouvernement le monopole du commerce des blés elle fut repoussée par 35,000 voix contre 15,000.

En second lieu, une autre des raisons de cette fixation des salaires par l’autorité administrative ou législative était la croyance, jadis générale, que les classes inférieures de la population sont naturellement turbulentes, qu’elles comprennent mal leurs intérêts, et qu’il n’est pas bon pour l’État qu’elles aient beaucoup d’aisance ou beaucoup de loisirs. Telle était la pensée de presque tous les hommes d’État anciens, même des plus éminents, comme Richelieu. À la fin du dix-huitième siècle seulement une autre doctrine commença à poindre, elle eut de la peine à se faire jour. Même le législateur de la période révolutionnaire était médiocrement favorable à la classe ouvrière ; il se défilait de son ignorance, de sa turbulence, de ses exigences qu’il eût volontiers considérées comme contraires au bien public. Une troisième pensée enfin se trouvait au fond de ces mesures, c’était que la médiocrité ou la modération des salaires était favorable au développement de l’industrie nationale, aux exportations, par conséquent à l’intérêt général.

Il serait également inexact de croire que cette réglementation des salaires par voie d’autorité fût complètement efficace ou qu’elle ne le fût aucunement. Elle n’avait jamais tous les résultats qu’en espérait le législateur et n’empêchait pas, quand la demande de travail était très-ardente, le salaire de