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perfectionne seulement, revêt divers modes, s’adapte à des suppléments, reçoit des annexes ; mais il reste toujours le phénomène fondamental, le fait universel, le plus humain. Toutes les autres combinaisons, auxquelles nous applaudissons, et que l’on appelle le quatrième contrat succédant à l’esclavage, au servage, au salariat, ne sont que des accessoires, des compléments, des suppléments, d’une grande utilité à coup sûr, mais qui n’ont pour objet que de rendre le salaire plus parfait, plus efficace, bien loin de prétendre à le détruire.

Sur dix individus dans la société, il y en aura toujours huit ou neuf de salariés, plutôt neuf que huit. Est-il vrai, comme le croient beaucoup de personnes, comme le disait Stuart Mill, que le salaire perde du terrain, que la civilisation ait une tendance à diminuer la situation de salarié ? Pas le moins du monde. D’un côté, il est vrai, le salaire semble perdre une partie de son domaine par la création de sociétés coopératives ; mais ces associations sont en petit nombre, et, d’ailleurs, elles occupent, quand elles réussissent, beaucoup de salariés. D’un autre côté, le salaire gagne du terrain par la suppression d’une foule de petits entrepreneurs, par la disparition de beaucoup d’industries rudimentaires, comme celle de porteur d’eau et de chiffonnier, par la concentration des grandes industries et du commerce tant de gros que de détail. Cette organisation de plus en plus bureaucratique, que nous avons signalée comme le trait caractéristique de la société moderne, multiplie le nombre des salariés. Autrefois, il n’y avait guère que la classe ouvrière qui reçût un salaire aujourd’hui, presque toute la classe bourgeoise en reçoit. Elle est, en effet, presque toute entière dans les vastes cadres des administrations d’État ou des grandes sociétés anonymes : voyez que de chefs de bureau des chemins de fer, des compagnies d’assurances, des sociétés de crédit, des compagnies de gaz, d’eaux, de charbonnages, de métallurgie, etc. ! tout ce monde est salarié.

Nous disions tout à l’heure que l’association elle-même ne supprime pas le salariat. En effet, dans une société coopérative beaucoup de personnes doivent recevoir un salaire, tous