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ils ont d’ordinaire à lutter contre l’incrédulité et l’indifférence : il n’est pas probable qu’ils puissent jamais se procurer les capitaux au taux légal, c’est-à-dire à 5 ou 6 p. 100 ; les risques de ce genre de prêts sont trop grands pour que le prêteur ne stipule pas en sa faveur d’extraordinaires avantages. Supposez qu’il se fût rencontré un homme qui eût avancé à Fulton un million à 50 p. 100 d’intérêt, n’aurait-il pas rendu un inappréciable service et à Fulton et à la société qui aurait peut-être profité un quart de siècle plus tôt de la navigation à vapeur ?

La nature des choses veut que le taux de l’intérêt soit variable suivant les lieux, les temps, les circonstances, les hommes, et qu’il ait même une très grande amplitude d’oscillation. Aussi le maximum du taux de l’intérêt a des effets opposés à ceux qu’on se propose en l’établissant. La loi crée la malhonnêteté qu’elle veut prévenir et développe les abus qu’elle prétend corriger. L’insécurité de la profession de prêteur fait que ce métier n’est exercé que par des gens ne tenant guère à l’estime publique et à leur propre dignité. Les capitalistes riches qui, en certaines circonstances, auraient consenti des prêts à 7, 8 ou 10 p. 100 reculent devant l’interdiction de la loi. Les prêts aux particuliers sont, d’ailleurs, plus désavantageux que ceux faits à l’État ou aux grandes sociétés. Les premiers offrent plus de difficultés pour le recouvrement du capital, et le paiement même des arrérages aux échéances est moins ponctuel. Il n’y a pas de grand marché, dans le genre de celui de la Bourse, où se négocient les prêts entre personnes privées et où l’on puisse les réaliser à toute heure. On n’a pas non plus, dans ce genre de placement, la perspective si séduisante d’une prime ou d’une plus-value sur le capital, attrait qui échoit aux emprunts d’État ou de sociétés cotés au-dessous du pair. Ainsi les prêts à des particuliers sont d’ordinaire des affaires médiocres et peu recherchées ; la loi du maximum de l’intérêt les décourage encore davantage.

C’est un fait qui n’a pas été assez remarqué que le crédit personnel, d’homme à homme, diminue à mesure que les valeurs mobilières se répandent. Nos pères plaçaient encore leurs,