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le juste et le tuteur des faibles, peut intervenir de différentes façons dans les questions qui concernent l’intérêt du capital. Il peut fixer pour tout le pays un taux obligatoire au-dessous et au-dessus duquel il est également défendu de prêter ou d’emprunter. À la fin du dix-huitième siècle, en Suisse, d’après Roscher, il y avait des pénalités contre ceux qui prenaient un intérêt moindre de même que contre ceux qui prenaient un intérêt plus élevé que le taux légal. L’État agissait en arbitre qui se croit bien informé et impartial. On trouverait encore aujourd’hui dans notre législation ou dans notre administration des restes de cette présomption du gouvernement. C’est ainsi que pour les offices ministériels on fixe un certain multiple du revenu moyen au-dessus duquel ils ne peuvent pas être vendus. L’auteur de ce livre a dû intervenir à la Chancellerie, il y a un an ou deux, parce qu’un greffe de justice de paix dans un canton éloigné avait trouvé preneur pour un prix un peu plus élevé que celui qui ressortait des calculs de l’administration. L’acte de vente fut cassé, les parties vraisemblablement durent recourir à une contre-lettre.

L’absurdité de ce système est tellement manifeste qu’on n’a pu nulle part le pratiquer d’une manière générale. Vouloir que le taux de l’intérêt soit absolument fixe dans tout un pays, établir un niveau au-dessus et au-dessous duquel il est interdit de se tenir, c’est trop évidemment méconnaître la diversité des transactions et la variété des situations humaines.

L’imagination et le sentiment se sont donné carrière dans ce domaine et ont produit toutes sortes de solutions plus ou moins iniques ou étranges. L’une d’elles serait le prêt enregistré et obligatoire. Chaque prêt de capitaux serait soumis au visa de la police qui pourrait forcer le prêteur à recevoir un remboursement prématuré, ou bien encore qui pourrait le contraindre à transférer le prêt à un autre emprunteur. Ce serait une sorte d’expropriation des capitaux. Nous ne parlerons pas en ce moment de toutes les combinaisons socialistes qui peuvent se présenter en fait de prêts, depuis la fameuse Banque gratuite de Proudhon, jusqu’à la motion de Lassalle que l’État empruntât