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et en Australie, sans l’expansion soudaine du commerce international à la suite des découvertes de la vapeur et du télégraphe, le taux de l’intérêt serait probablement tombé à 1 p. 100 dans la Grande-Bretagne. Stuart Mill était encore trop dubitatif, et l’adverbe « probablement » aurait pu être remplacé par l’adverbe « certainement ». Oui, si la Grande-Bretagne avait été un pays isolé, si elle n’avait pas déversé depuis un siècle son activité, son épargne, l’énergie créatrice de ses enfants sur les contrées du Nouveau-Monde, l’intérêt du capital serait tombé à 1 p. 100 dans cette île, et le pays serait arrivé à l’état stationnaire. Nous regardons, quant à nous, comme très vraisemblable que dans un délai d’un quart ou d’un demi-siècle, l’intérêt des capitaux dans l’Europe occidentale tombe à 1 et demi ou 2 p. 100 pour les placements à long terme de première sécurité. Il faudrait que les contrées neuves, par exemple l’Afrique, fussent très promptement mises en œuvre par les capitaux européens pour qu’on évitât cet avilissement de l’intérêt.

Qu’est-ce que cette situation économique dénommée « l’état stationnaire », terreur de certains économistes comme Adam Smith, tableau qui n’effraie pas, au contraire, qui séduit presque Stuart Mill ? Celui-ci en a parlé longuement, a décrit avec charme l’état stationnaire qui est le résultat de « l’inévitable nécessité de voir ce fleuve de l’industrie humaine aboutir à une mer stagnante. » Une mer stagnante, voilà comment Stuart Mill se représente l’avenir des sociétés humaines ; et la baisse prolongée, accentuée, du taux de l’intérêt est l’indice que l’on approche de cette stagnation définitive. Ce n’est pas à dire que, « quelque loin que les efforts continus de l’humanité reculent sa destinée, les progrès de la société doivent échouer sur des bas-fonds de misère ; » ces mots sont de Malthus, et remplissent l’esprit d’épouvante ; or nous avons dit que pour Stuart Mill l’état stationnaire offre de l’attrait. Suivant lui l’état stationnaire se reconnaît à ces caractères que les facilités d’acquérir la richesse deviennent moins grandes, et qu’en même temps la poursuite de la richesse cesse d’être, au même degré qu’autrefois ou qu’aujourd’hui, l’objet dominant de l’humanité.