Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le pays[1], c’est émettre une proposition à la fois scientifique et d’une grande importance pratique, car elle permet au savant de faire des prévisions certaines sur la marche du taux de l’intérêt dans l’avenir et dans les diverses contrées. Le second élément du taux de l’intérêt, ce sont les conditions de sécurité.

Celles-ci ont singulièrement varié dans l’histoire ; il faut distinguer les conditions de sécurité propres à la personne même de l’emprunteur et les conditions de sécurité générale pour les transactions dans la contrée. Dans les sociétés primitives ou barbares, les capitaux sont très rares ; les prêteurs sont peu confiants ; les emprunteurs, d’autre part, ne sont pas tels qu’ils puissent triompher de la répugnance de l’homme qui a des épargnes. À ces âges des sociétés, les emprunteurs sont en général des hommes besoigneux, nécessiteux, ou des prodigues, ceux qui ont mangé leur bien, ou qui le mangent, ou du moins ceux que quelque calamité a plongés dans une grande gêne. Il ne se fait donc guère alors que des prêts destinés à des dépenses voluptuaires ou au soutien même de la vie de l’emprunteur : ce sont toujours là les prêts les plus hasardeux, ceux qui tentent le moins l’homme à la fois honnête et prudent. Il en est autrement à une autre période de la vie des sociétés : ceux qui empruntent alors, ce sont surtout les hommes actifs, entreprenants, intelligents, les industriels soit individuels, soit réunis en associations : le prêt n’est plus alors un prêt voluptuaire, ni un prêt sollicité par la pauvreté, c’est un prêt que demande l’esprit d’entreprise avec toutes les chances de gain qu’il a devant lui.

Dans ces sociétés primitives, ce ne sont donc pas seulement les conditions générales de sécurité qui manquent, faute de police, de tribunaux impartiaux et de lois régulièrement appliquées ; ce sont aussi les conditions de sécurité particulières à la

  1. Nous disons : la productivité moyenne des nouveaux capitaux ; en effet, la productivité moyenne des anciens capitaux qui sont pour la plupart incorporés en terres, en maisons, en fabriques, n’exerce plus aucune influence sur le taux de l’intérêt : elle contribue seulement a augmenter ou à diminuer la valeur vénale de ces capitaux. C’est l’abondance ou la rareté des seuls capitaux circulants qui influe sur le taux de l’intérêt ; l’abondance ou la rareté des capitaux fixes n’a pas la même action.