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nos ancêtres, disait-il, ont établi par des lois que le voleur serait tenu à une restitution du double, le prêteur à intérêt à une restitution du quadruple : majores ita in legibus posuerunt furem dupli condemnari, fœnatorem quadrupli. Dans d’autres cas les Romains, cette race usurière s’il en fut, comparaient, assimilaient presque le prêt à intérêt à un assassinat : fœnerari ou hominem occidere était aux yeux de leurs moralistes, même de leurs législateurs, des actes de même nature. Il y avait bien quelque raison de leur temps et chez eux à cette assimilation qui nous choque : c’est que l’ancien droit romain faisait tomber en esclavage le débiteur insolvable.

Que le point de vue d’Aristote et des anciens Romains soit inexact, il est aisé de le dire et il l’est presque autant de le démontrer. Ce n’est pas de l’argent que l’on prête en réalité, ce sont des capitaux ; autant vaudrait dire dans nos sociétés modernes que c’est du papier que de l’argent, car les rations assujetties au cours forcé ou affranchies de ce fléau se servent les unes et les autres de billets de banque ou d’État pour les transactions de quelque importance. Ces pièces d’or, ces billets de banque, qu’est-ce en réalité ? Ce sont des mandats qui donnent droit au porteur de prélever dans la société des marchandises à son choix et jusqu’à concurrence d’une certaine valeur. Ce sont des capitaux que l’on prête ; or qu’est-ce que les capitaux ? Des marchandises destinées à faciliter la production. Le capital, c’est un produit accumulé ou mis en réserve, non pas en vue de la consommation personnelle ne laissant aucune trace, mais en vue d’une production ultérieure. L’intérêt sera légitime s’il est vrai que les capitaux sont, de leur nature, productifs d’utilité, qu’ils rendent service à celui qui les possède et, par conséquent, à celui qui les emprunte et que, après ce service rendu, les capitaux restent cependant tels qu’ils étaient.

Prenons un exemple : un sauvage dans un espace de temps déterminé et avec une certaine somme d’efforts tue en moyenne un daim avec une flèche. On lui prête un fusil, de la poudre et des balles dans le même temps et avec la même somme d’efforts, il tue en moyenne deux daims au lieu d’un. Après s’être