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La troisième cause artificielle d’accroissement des villes, c’est le service militaire, ce sont les garnisons. Chaque année plus de cent mille jeunes gens, dont les deux tiers sortent des campagnes, sont enrégimentes où les rassemble-t-on et les fait-on vivre ? Dans les grandes villes ou dans les villes moyennes. Il n’y a pas de garnisons dans les campagnes, et il n’y en a qu’exceptionnellement dans les très-petites villes. Ces cent mille jeunes gens, dont les deux tiers sont des ruraux, se trouvent transformés en citadins, traînent à leur suite aussi des quantités de petits commerçants, d’employés de toutes sortes. Il leur faut, en effet, non seulement la nourriture, les distractions, mais l’armement, l’équipement ; il leur faut de vastes locaux, de grands bâtiments, dont la construction et l’entretien occupent beaucoup de monde. Plus le contingent militaire augmente, plus la population des villes a tendance à s’accroître. Beaucoup de ces ruraux qui viennent passer comme soldats trois, quatre ou cinq années, dans les garnisons des villes, se font à la vie urbaine, en prennent le goût et ne retournent plus à leurs champs.

Ces diverses causes soit économiques, soit politiques, soit naturelles, soit artificielles, n’exercent pas toutes leur action sur la croissance de toutes les cités. Le prodigieux développement des villes des pays neufs n’a que des causes économiques. New-York, Chicago, Saint-Louis, Melbourne, ces cités dont les trois dernières sont nées d’hier et qui ont une population égale à celle de grandes villes européennes vieilles de vingt siècles, doivent leur importance à ce qu’elles sont des appareils de distribution des produits. Dans ces pays où la production est si abondante relativement à la population et où la circulation est si rapide, les appareils de distribution doivent être nombreux et considérables. Près de la moitié de la population de la colonie de Victoria est contenue dans trois villes, dont pas une seule n’a un demi-siècle d’existence.

Sur le continent européen, dans nos pays militaires et de fiscalité à outrance, en France notamment, la croissance des