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ou quinze hectares les fermiers font-ils défaut ? Pourquoi cette profession, jadis si considérée, si recherchée, ne se recrute-t-elle pas ? Il est facile de le comprendre.

Pour une exploitation de quelque importance les fermiers ont besoin d’un gros capital. Ce ne sont pas seulement des entrepreneurs, ayant quelques modiques avances et courant tous les risques, ce sont des capitalistes. En Angleterre, il y a trente ans, quand les instruments de culture étaient moins perfectionnés et moins coûteux, que l’usage des engrais était moins répandu et que le bétail coûtait moins cher, on estimait à 3 ou 400 francs par hectare le capital d’exploitation dont le fermier avait besoin. Cette évaluation, même alors, était considérée comme un peu trop faible par les agronomes compétents. En Belgique on a vu que pour les petites fermes des Flandres le capital d’exploitation est estimé entre 800 et 1,200 francs par hectare ; dans la région des polders on le porte à 1,400 francs ; dans le Condroz, pays pauvre et de grande culture, il ne serait que de 250 à 300 francs par hectare.

Ce capital d’exploitation représente la valeur du matériel, du bétail et des attelages, une année de bail des terres et de subsistance de la famille, les frais d’avance pour la moisson.

En France, d’une manière plus générale, M. Hippolyte Passy estime que le capital d’exploitation des fermiers doit équivaloir à dix fois le loyer de la ferme. C’est la même proportion que l’on admet, d’ordinaire, en Angleterre. Ainsi pour une ferme de 4,000 francs il faudrait 40,000 francs de capital. Nous croyons qu’en France dans la plupart des pays il est rare que cette proportion soit atteinte mais alors la culture s’en ressent ; au lieu de dix fois, ne mettons que six ou sept fois le montant du fermage. Pour une ferme de 4,000 francs il faudrait toujours que le fermier apportât un capital d’exploitation, si ce n’est de 40,000 francs, du moins de 23 à 30,000.

C’est là une petite fortune en présence des incertitudes des récoltes, des difficultés qu’il rencontre du côté des ouvriers et des domestiques, devenus non seulement chers, mais insoumis et violents, avec la perspective d’une hausse du fermage à cha-