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d’entrepreneurs, de tant de prolétaires, qui ont été frappés dans leur revenu ou leur gagne-pain par des changements mécaniques ou des progrès sociaux, ce serait une iniquité tellement révoltante qu’on ne peut même en entretenir l’idée.

Si le bon marché croissant des communications et le défrichement de plus en plus rapide des terres nouvelles doit supprimer la moitié ou les deux tiers du fermage, si les produits des États-Unis, de l’Amérique du Sud, de l’Australie, du Soudan, de la Sibérie même, doivent abaisser à 12 ou 15 centimes la livre le prix du pain en Europe et à 50 centimes celui de la viande, ce sera un grand bienfait pour la société européenne les revenus et les fortunes des propriétaires s’en trouveront graduellement amoindris, par le fait seul de la nature. Il n’y aura aucune diminution de la richesse nationale car le fermage est un revenu dérivé, un revenu qui est prélevé sur d’autres. Les deux milliards et demi que les propriétaires français retirent de leurs terres sont pris sur les sommes que l’ensemble de la population consacre à ses subsistances si la population peut avoir la même quantité de subsistances en payant un milliard ou un milliard et demi de moins, les propriétaires en seront moins riches, mais la nation, dans son ensemble, conservera le même degré de richesse. Cette richesse seulement sera autrement distribuée ; elle sera plus également disséminée entre les habitants.

C’est, d’ailleurs, une erreur de croire que la baisse du blé, de la viande et de tous les produits agricoles, amenant à sa suite une certaine baisse des fermages ou de la rente du sol, puisse faire retourner à l’état de friche les terres du vieux monde, ou bien encore que ces événements puissent avoir pour conséquence de rendre plus précaire la situation du petit propriétaire et d’abaisser les salaires. Pour que les terres de l’Europe cessassent d’être cultivées, il ne faudrait pas seulement que le fermage fût échancré, il faudrait qu’il eût entièrement disparu. Un propriétaire qui retirait cent-francs de l’hectare de terre aura toujours profit à le maintenir en culture alors même qu’il ne produirait plus que 20 francs, 15