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C’était manquer de mesure que de contester les avantages naturels de certains sols, le Clos-Vougeot, les grands crûs du Médoc et bien d’autres. Si, dans son ensemble, la classe des propriétaires fonciers ne retire pas plus, si elle retire probablement même moins que l’intérêt des capitaux qu’elle-même et ses auteurs ont incorporés au sol, il n’en résulte pas que ces bénéfices, si modiques en moyenne, soient également répartis. Certains propriétaires sont heureux d’autres ne le sont pas ou le sont moins. Les premiers peuvent obtenir de leurs améliorations agricoles un revenu de 30 ou 40 p. 100, parfois même de 100 ou 300 p. 100, tandis que d’autres n’en obtiendront pas 1 ou 1 1/4 p. 100. Peut-être ces derniers n’auront-ils pas cependant été moins intelligents, moins prudents, moins soigneux que les premiers ; mais la fortune aura trahi leurs efforts.

La fortune, le hasard, voilà l’élément accidentel qui tient une grande place dans toutes les affaires humaines, la Conjunctur, comme disent les Allemands. On voudrait l’éliminer, c’est folie ; il faudrait, pour y parvenir, se jeter dans les bras du communisme le plus grossier, immoler toute initiative individuelle, renoncer à tout progrès ayant une origine personnelle le hasard, la fortune, le bonheur, tous ces synonymes qui expriment un élément extérieur à l’homme et incontrôlable, ne disparaîtront jamais de la société vivante et agissante quand la société sera morte ou stagnante, alors seulement ils ne joueront plus de rôle parmi les hommes.

Dans quelle richesse individuelle, à côté du travail, de l’économie, de la sagacité ou de la divination du fondateur, ne découvre-t-on pas cet appoint nécessaire à tous les efforts humains, le bonheur ? Est-il absent de l’industrie ? La proximité d’un chemin de fer, d’une houillère, d’un canal, la création d’une grande ville dans le voisinage, tous ces faits contingents, accidentels, n’augmentent-ils pas les gains d’un industriel, sans que son habileté ou ses efforts se soient accrus ? Ne le trouve-t-on pas au plus haut-degré dans le commerce de détail ? Le développement d’une ville ou d’un quartier, la proximité d’un