Page:Leroux - Sur mon chemin.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
LA FLAMME

La flamme continue à brûler. Elle s’échappe par les fenêtres des loges, et vite les pompiers la font rentrer à coups de lances.

Mounet arrive. On lui dit que sa loge brûle. Ils en sont tous là, à regarder brûler leurs loges. C’est quelque chose d’eux, cela. C’est la partie qui leur tient le plus au cœur, de la Maison qui brûle. Ils y avaient accroché des couronnes, l’avaient ornée de leurs bustes, l’avaient tapissée de leurs portraits. Mounet avait dix bustes de lui dans sa loge ; que sont devenus les bustes de Mounet ? Et Cadet ? Et Leloir ? Ils chérissaient eux aussi leurs loges ; elles racontaient leur histoire. Et la loge Louis XVI de Marsy, tout en blanc et en glaces et en pâtisserie ? et toutes les autres loges, celles des comédiens avec leurs caricatures par les meilleurs crayons, et celles des tragédiens avec des panoplies, des casques, des armures, des épées comme il convient ? Ils pleurent, en songeant que la flamme ne respecte rien, et que, de la vieille Maison qui fut leur, il ne restera plus que des colonnades enfumées.

Pleurons avec eux la Maison de Molière. Mais nous te pardonnerions cependant, ô flamme, si tu n’avais brûlé que la Maison d’hier, sur les ruines de laquelle s’élèvera la Maison de demain ; nous te pardonnerions si tu n’avais brûlé que des masques. Mais pourquoi t’a-t-il fallu, ô flamme dévastatrice, détruire la jeunesse et la beauté !…