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SUR MON CHEMIN

Mon ami traversa, rageur, la scène et s’en vint coller un regard de flamme au trou du rideau. La salle commençait à se remplir ; il lui cracha sa colère. Il disait, entre autres choses :

— Penser que nous avons inventé ça : le public des répétitions générales, le Tout-Paris des premières !… Pour attirer la foule qui rit toujours, nous invitons d’abord ces blasés qui ne rient jamais ! Qu’est-ce que ça me fait, à moi, que toutes ces faces n’aient point ri ? Est-ce que j’écris des pièces pour le Tout-Paris des premières ? Non ! n’est-ce pas ? Alors ! alors, puisque tout ce qui plaît au gros public qui paie ne saurait plaire au public des premières qui ne paie pas, ma pièce a réussi au-delà de toute imagination, et me voilà riche !

Il éclata d’un rire extravagant. Puis il me céda le trou du rideau, me disant « qu’il les avait assez vus et qu’ils étaient tous laids ce soir ! »

C’était la première fois que je regardais par le trou du rideau. C’est bien la meilleure place pour s’amuser au théâtre. Henry Fouquier arrivait et déjà ne lâchait plus sa jumelle. Il se faisait raconter le premier acte, tout en lorgnant le balcon. Henry Fouquier est consciencieux ; il ne part jamais avant la fin des pièces. C’est ce que je fis remarquer à mon irascible ami, qui me criait qu’il n’arrivait jamais au commencement. Au fond de sa loge, je distinguai M. Stanislas Rzewuski, plus triste que Tibère à Caprée.

En face, M. et Madame Duquesnel, qui mon-