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DE STOCKHOLM À MONTMARTRE

portât à notre Opéra de Stockholm de pareilles horreurs. La musique est un art charmant et idéal qui ne peut se comprendre que dans les plus somptueux décors. Les gens qui s’y promènent, qu’ils soient dieux, héros ou bourgeois, doivent être accoutrés de telle sorte qu’ils ne paraissent point ridicules. Ils ne se sauveront de cette extrémité qu’à la condition d’être affublés du justaucorps, des chausses et du pourpoint abricot traditionnels. Y a-t-il rien de plus plaisant à l’œil que le bliaud tout blanc dont une manche est rouge et l’autre bleue ? et allez-vous établir une comparaison entre une pareille originalité de manteau et la blouse de vos ouvriers d’aujourd’hui, ou même avec vos redingotes. Il n’y a du reste qu’une redingote possible en musique, c’est la redingote à la Galathée, dont la queue est longue et traînante, et qui se porte avec grâce.

Nous nous assîmes à la table d’un restaurant de nuit. Il commanda plusieurs douzaines d’huîtres et continua la série de ses arguments musicaux. Ils sont tout à fait curieux et arrivent en droite ligne de Stockholm.

Comme je le regardais, bouche bée, il avala un verre à madère de schiedam et reprit :

— Les douleurs d’un père, monsieur, sont les douleurs d’un père, que ce père soit un Dieu ou un ouvrier. La musique nous exprime les douleurs d’un père, mais qu’elle le choisisse dieu ou héros, et jamais ouvrier. Je précise. Tel air, telle phrase, monsieur, nous décrivent des guer-