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ÇA NE MORD PAS

de l’huile d’aspic ; j’en ai vu avec des œufs de fourmi. Le bon peintre Ostolle me disait ce matin : « Du temps où je pêchais, le poisson était déjà si diffcile à prendre qu’un ingénieux ami imagina de l’enivrer. Il allait quérir un litre d’absinthe à l’Auberge du Souterrain et s’en venait le vider sur « son coup ». Il en résultait bientôt dans sa boutique » des gardons qui étaient saouls comme des Polonais. Et puis, ce genre de pêche avait cet avantage qu’il chassait un peu l’odeur de vase que les poissons de rivière portent avec eux. »

— De votre temps, répondis-je au bon peintre Ostolle, quand on mangeait une friture, on croyait prendre l’apéritif ».

Onze heures ! L’angélus tinte prématurément sur la plaine ensoleillée et me fait bondir sur la rive. C’est l’heure du courrier. Je cours vers cet homme eu bourgeron bleu, coiffé d’un képi, qui s’en vient là-bas sur la route ; je passe comme une flèche — comme une grosse flèche — parmi la troupe des laveuses qui s’apprêtent à déjeuner, assises sur les bras des brouettes ; je donne, en passant, une rude poignée de main à mon ami Poulain, le conducteur de la diligence qui vient d’arriver avec fracas, et je saisis, haletant, des mains du facteur-poudreux, le Figaro, « compte rendu sténographique du conseil de guerre de Rennes », et je m’en vais, je m’en vais, emportant l’Affaire sous mon bras, me rouler comme un fou dans l’herbe, et oublier, auprès de ma ligne,