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TOMBÉ

poitrine se soulève avec effort. Il semble souffrir davantage… Que c’est long, que c’est long à venir, ce matelas pour emporter cet homme ! Le laissera-t-on agoniser longtemps encore sur ce quai, devant nous qu’affole notre impuissance et qui ne pouvons rien que le regarder mourir !

Va-t-il finir ici ? La Providence ne jugera-t-elle pas qu’il est imprudent, pour l’ordre des choses éternelles, d’enlever un tel homme à une telle tâche avant qu’il l’ait terminée ? Cette tâche, qu’il a l’orgueil d’avoir crue de justice, avant beaucoup d’autres, et qui, peut-être, dans quelques jours, quand le conseil de guerre nous aura dit ce qu’il en pense, sera devenue pour tous une œuvre de gloire, cette tâche, il lui a tout donné. Il lui avait donné sa situation au Palais, il lui a sacrifié sa situation politique, et tous ses intérêts privés ou publics, et son repos, et sa santé déjà ; oui, il avait donné tout cela à ce qu’il estimait être la vérité. Mais ce n’était pas encore assez et voilà maintenant que la vérité va être faite de son sang.

Enfin, on l’emporte, et le médecin espère. Le crime aura été inutile. Je quitte Labori. Mon devoir exige que je me rende en hâte à la salle d’audience. Je vois tout de suite que l’on vient d’apporter la nouvelle abominable. La colère et la douleur des uns, la consternation des autres, l’indignation quasi-générale qui gonfle les poitrines, les altercations et les violences, les responsabilités que l’un se jette à la face, les injures qui grondent, le mot d’« assassins ! » qui frémit sur