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SUR MON CHEMIN

par quel système de publicité sournoise, mystérieuse et savante, quinze mille personnes étaient si bien renseignées. Cela, du reste, ne leur servit de rien. Le théâtre Sarah-Bernhardt n’est pas le Colisée. Ils y viendront à leur tour. En attendant, je veux leur dire comment il est fait.

Ils s’en créent, sans doute, une fausse idée. Moi-même, je me l’imaginais autrement que la réalité me le montra. « L’Enthousiasme, me disais-je, a quatre mille bouches, huit mille pieds et huit mille mains. Ses quatre mille bouches doivent être grandes ouvertes, et les voix qui s’en échappent doivent clamer des sons inintelligibles et farouches ; ses milliers de mains et de pieds, frapper et trépigner dans un délire soudain et cadencé, car l’Enthousiasme est une hydre qui montre une multitude de corps, mais qui n’a qu’une âme. Tous ces corps obéissent à cette âme, et la nature ne les lui a donnés si nombreux que pour lui permettre de traduire avec plus de force, par leur agitation tumultueuse et simultanée, le frisson sublime qui la possède. »

Eh bien ! l’Enthousiasme, ce n’est pas ça du tout. Je le sais bien. Je vous jure que je l’ai vu hier soir. Il a bien autant de bouches que je le pensais, mais elles ne poussent point de sons inintelligibles et farouches. Bien au contraire, on distingue tout à fait ce qu’elles disent. Elles disent : « C’est ravissant ! » À la fin des actes,