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LE REPORTAGE « D’HONNEUR »

chevaux. Parfois, dans un coin de banlieue, d’honnêtes maraîchers assistent, sur le bord de la route, avec une stupéfaction nullement déguisés, à une course de landaus qui ne saurait manquer d’originalité. Quelquefois les voitures s’arrêtent à un carrefour. Un paysan passe. On l’interroge, et les voitures repartent, par des chemins divers, comme des petites folles.

C’est plus facile de retrouver deux landaus dans la campagne que deux adversaires, quatre témoins et deux médecins dans Paris. Le duel Picquart-Henry, par exemple, nous a donné un mal incroyable. Je reverrai toujours la tourmente de neige, les rafales de ce triste matin d’hiver, tout le décor lamentable dans lequel nous apparut le quartier de l’École militaire.

Notre fiacre trottait de manège en manège sans découvrir celui que nous cherchions. Nous étions quatre, empilés dans la guimbarde, quatre qui, je puis bien le dire, sommes presque l’honneur du reportage d’« honneur » : Maurice Leudet, Robert Charvay, Émile André et moi. Émile André surnommé la « Terreur de la rue des Martyrs », et dont la vie tout entière est consacrée à enseigner à ses concitoyens l’art difficile mais dangereux « de se défendre dans la rue », Émile André, dis-je, avait à la hâte, acheté une soupe brûlante, avec sa soupière et sa cuillère. Il dévorait sa soupe entre deux cahots et, n’ayant pas voulu, par la suite, lâcher sa soupière, il manqua le duel ; car il ne put monter à l’échelle que j’avais appliquée