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UN HÉRITAGE

la tête de cette femme aux paupières closes et qui semble communier, tout le symbolisme de la mythologie hellène leur sera révélé, et ils seront épouvantés du travail qu’il a fallu à cet homme pour, avec ce cygne et cette femme, faire une chose qui, je puis bien vous le dire, est fort loin de la peinture de M. Bouguereau et n’aurait que médiocrement inspiré Offenbach quand il écrivait ses flonflons autour de la fille de Jupiter.

Et si nous devons estimer que la dispersion de cette collection unique serait un désastre pour l’Art, c’est que, justement, autant que les vastes compositions achevées, les toiles primitives où la pensée embryonnaire de Gustave Moreau s’imprima, doivent être, à tous les yeux, précieuses. Voilà des Chimères qui se cabrent d’un unique vol de son pinceau et qui sont telles encore qu’elles surgirent, pour la première fois, de son âme tourmentée. Voilà surtout une toile de badigeon écarlate et noir qui sera plus tard la « Mère de Moïse ». Ces ténèbres et ce sang, ces oiseaux qui battent d’une aile lourde une atmosphère de feu au-dessus d’un fleuve de plomb, ce geste à peine indiqué d’une femme dans la nuit, n’est-ce point l’image du cerveau du maître à la minute mystérieuse et sacrée de la naissance de l’Idée ? à la minute divine de la création ?

Ainsi en va-t-il pour la « Vie de l’Humanité » et pour cette Messaline si puissante de luxure froide, volontaire et passive, et pour tant d’autres compositions de signification mystique et philo-