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LES TROIS

poings réunis et impatients, dans une attitude de colère intérieure domptée. De minute en minute, il lève la tête sans redresser le buste et nous montre le regard dur, le front volontaire et la bouche rageusement close du vaincu qui ne veut même plus maudire ses juges.

Guérin est pâle. Il se lient droit, les mains dans les poches et sourit. Son sourire a quelque chose d’un tic ; il est maladif, presque inconscient. Guérin ne sait peut-être pas qu’il sourit. C’est lui qui joue la plus funeste partie dans tout ceci. Beau joueur, il voudrait gagner dix ans de forteresse sans émotion et en faisant la moue. Avec un effort presque invisible, il y réussit. Il est peut-être le plus étonnant des trois, car il n’est soutenu moralement ni par la foi monarchiste de Buffet ni par l’idéal simple et pompeux du nationalisme de Déroulède. Il ne tient que par l’habitude de l’Aventure et de la défaite.

Des trois, Déroulède est le plus beau. Les deux autres sont là. Ils assistent à la chose. Ils ont des attitudes pour le Sénat, et peut-être n’oublient-ils point que l’on s’écrase dans les tribunes. C’est bien leur droit. Quand on paie ces altitudes-là de dix ans de bannissement ou de détention, on peut s’offrir le luxe de succomber « en beauté ». Mais Déroulède le néglige. Il est ailleurs, très haut, dans son rêve triomphal d’une République vertueuse, victorieuse et patriote. Son regard ne regarde rien que les politiciens puissent voir. Les politiciens n’existent pas. Dans sa République, il